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  3. Nr. 355

Wilhelm von Humboldt an Eugène Vincent Stanislas Jacquet, Juni 1832


Mr. Jacquet.
Tegel. Juin.
Mr.

Il me seroit difficile de trouver des paroles assez expressives pour Vous témoigner toute l’étendue de ma vive reconnoissance des bontés dont Vous me comblez et pour excuser mon long et coupable silence. Je crois Vous avoir déjà mandé, Mr. que j’ai depuis quelque temps une très-grande difficulté à manier moi-même la plume. La dépendance de secours d’autrui à laquelle je me vois réduit par-là, m’est si fâcheuse et si pénible que mes communications par lettres deviennent par cette circonstance beaucoup plus lentes qu’elles ne devroient l’être.

Je commence, Mr. par Vous dire bien des choses de la part de mon frêre qui a été charmé, ainsi que moi, d’apprendre par Votre lettre que la santé de Mr. Abel-Remusat est dans un état qui ne laisse pas concevoir d’inquiétudes pour lui; mais nous voyons avec une peine extrême que sa reconvalescence paroit être longue et pénible. Nous faisons des voeux pour son prompt et entier rétablissement et nous Vous prions, Mr. de lui exprimer toute la part que nous y prenons.

L’impression de ma lettre à laquelle on a bien voulû accorder une place dans le nouveau Journal Asiatique, ne laisse rien à desirer ni pour la correction en général, ni pour la netteté et l’élégance des types Bugis et Tagals. Je sai que j’en suis redevable à Vos soins Mr. et Vous prie d’en agréer mes sincères remercîmens. Le délai de la publication ne me peine aucunement pour mon travail. Je puis dire avec vérité que je l’ai fait dans l’unique intention d’entrer en discussion avec Vous sur ces matières dont Vous aviez fait, ainsi que Votre mémoire me le prouvoit, une étude approfondie et qui m’occupoient depuis longtemps. Il importe peu que le Public voye plus tôt ou plus tard mes idées sur un point d’histoire et de philologie qui, quoiqu’on fasse, laisse toujours un vaste champ à la critique. Mais ce que je regrette vivement, c’est de venir par là aussi plus tard en possession de Vos observations, Mr. que j’attends avec la plus vie impatience. Veuillez être bien persuadé, Mr. que je verrai avec la plus grande satisfaction mes idées rectifiées et complettées par les Vôtres. J’aurai toujours le mérite d’avoir provoqué Vos observations.

L’avertissement que Vous avez placé à la tête de ma lettre, Mr. renferme des choses si infiniment flatteuses pour moi que je ne puis les attribuer qu’à l’extrême bienveillance que Vous voulez bien m’accorder. J’espère que le Public en fera de même, d’ailleurs je serois bien embarassé de répondre à l’attente que Vous excitez de moi et de mes travaux. Vous ne sauriez néanmoins douter, Mr. des sentimens de reconnoissance que ce nouvel effèt de Vos bontés m’a inspirés. Mais en mettant aussi entièrement à part ce qui m’est personnel, j’ai lû ces pages avec le plus grand intérêt. On ne sauroit caractériser la Philologie d’une manière plus vraye et plus élevée qu’en disant, qu’elle commence, à chaque mot d’une langue et finit dans l’intuition de l’esprit. C’est une idée très-profonde présentée dans une phrase à la fois ingénieuse et originale et j’espère bien que Vous me permettrez de la citer et de la placer dans tout son jour, aussitôt que j’en trouverai l’occasion. Je m’empresserai de rendre alors au Public ce que par un excès de délicatesse Vous lui avez dérobé, Mr. dans les passages supprimés de ma lettre.

Les observations de Mr. de Chamisso sur les isles du grand Océan méritent d’être connues par Vous, Mr. Mr. de Chamisso, François de nation, mais élevé à Berlin & attaché àprésent au Jardin botanique ici, accompagna, comme Naturaliste, la première expédition de Mr de Kotzebue, et a fourni le 3me Volume au voyage de ce dernier. Je Vous envoye, Mr. la copie fidèle des trois Alphabets donnés par lui. Nr. 1. et  2. sont ceux de S. Augustin & d’Ezguerra, le troisième est tiré d’une grammaire Bisaye manuscrite. Un heureux hasard m’a mis ces jours mêmes en possession de la Grammaire Tagala du P. Thomas Ortiz. Elle donne également l’Alphabet national, et les caractères m’y semblent être rendûs avec plus de précision et de fermeté dans les contours que dans les deux autres Grammaires. Les calques ne remplaçant jamais les Originaux, je Vous envoye l’ouvrage même, en Vous priant de le garder aussi longtemps qu’il pourra Vous convenir et de me le renvoyer après par le moyen de notre Légation à Paris. Je Vous avoue ingénument, Mr. qu’il me paroit quelquefois bien peu probable qu’il y ait le moindre rapport entre ces formes Tagales et les formes Devanagari. Le célèbre Camper est parvenû, en élargissant toujours d’avantage l’angle des lignes faciales, à tracer la transition d’une tête de grenouille à celle de l’Apollon du Belvedere. Cela me paroit être l’histoire des Alphabets sous le rapport de leur conformité graphique. Le cas est le même pour de certaines étymologies. J’aime également à m’arrêter, dès que je ne me vois plus guidé par des analogies grammaticales bien évidentes.

Je Vous suis infiniment obligé, Mr. d’avoir bien voulû m’indiquer sommairement, en quoi Vos opinions different des miennes. Cela m’a fait réfléchir de nouveau plus murement sur ces points. Veuillez seulement me permettre de Vous soumettre deux observations qui Vous feront voir plus clairement mes idées. Je suis entièrement d’accord avec Vous sur ce que toute l’écriture, toute la littérature et toute la civilisation de cette partie de l’Asie tire son origine de l’Inde. L’Inde a été le levain qui a mis en fermentation toutes les idées religieuses, politiques et morales que nous devons à ces contrées depuis l’antiquité la plus reculée. La culture intellectuelle toute formée, telle que nous la connoissons dans la littérature Sanscrite, a passé dans les pais voisins, et elle est reconnoissable partout où elle a transpiré. C’est à elle que le Kavi doit son origine. Mais il y a, sourtout dans les langues, aussi des affinités qui ne trahissent pas cette forme même et achevée des mots Sanscrits qu’on rencontre dans le Kavi, qui me semblent être plus antiques et que je crois devoir rappeller à un ordre de choses où le Sanscrit lui-même étoit encore à se former. C’est ainsi que je ne crois pas pouvoir dériver l’Alphabet Tagala de Devanagari; mais je ne prétends pas nier pour cela que cet Alphabet n’ait pas pû être apporté de l’Inde aux Philippines, je le crois même en liaison intime avec le Devanagari, mais comme un échelon antérieur que l’Inde a laissé loin derrière elles, tandis que les Tagalas y sont restés.

Vous supposez, Mr. aux caractères Devanagari une origine purement Alphabétique. Je partage cette opinion jusqu’à un certain point, mais il faut que je m’explique. Rien ni dans le Devanagari, ni dans les autres Alphabets de cette partie de l’Asie n’est vraïment syllabique. Le premier principe de ces Alphabets est de décomposer les sons, tandis qu’un Alphabet syllabique les laisse réunis. Mais ces Alphabets Asiatiques en question n’en pas d’abord vaincû toutes les difficultés que présente la décomposition des sons, et ils n’ont pas adopté dès le principe la méthode d’assigner à chaque son un signe particulier et de regarder, ce qui est le dernier point de la décomposition, la consonne et la voyelle de valeur égale, étant l’une et l’autre des élémens, non pas de la syllabe seulement, mais du mot, véritable élément de la langue, comme organe de la pensée. Ces différentes raisons les ont conduit à un systême d’aggroupement qui forme des réunions de signes, comme les syllabes sont des réunions de sons. C’est pourquoi on est forcé de les nommer syllabiques. Le Devanagari a perfectionné cette route, mais il ne l’a pas quittée, et tout alphabétique qu’il est dans son principe, il est resté syllabique dans son systême gra-phique.

J’ai oublié, Mr. de dire dans ma lettre imprimée que je regarde les lettres composées de l’Alphabet Bugis comme y ayant été ajoutées postérieurement. Les travaux littéraires auxquels les Bugis se livroient, pouvoient provoquer ces tentatives d’améliorement.

Mon ouvrage sur la langue Kavi m’occupe toujours encore. Je tâcherai d’y rendre en même temps sommairement compte de la structure grammaticale de toutes les langues de la souche Malaye qui nous sont connues. Mais il ne pourra paroître qu’au commencement de l’année prochaine|.|[a] Ce délai me procurera l’avantage de pouvoir encore enrichir mon ouvrage des données que me fournira Votre Bibliothèque Malaie que j’attends avec la plus vive impatience.

Veuillez agréer, Mr. l’expression réitérée de toute ma reconnoissance et de ma considération la plus distinguée.

Anmerkungen

    1. a |Editor| Die Passage beginnend mit dem vorigen Absatz ("J’ai oublié…") bis hierhin wurde von Jacquet im Nouveau Journal Asiatique 9, 1832, S. 574 als Ergänzung zur gedruckten Lettre Humboldts zitiert. [FZ]

    Über diesen Brief

    Eigenhändiger Entwurf
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    Folgebrief

    Quellen

    Handschrift
    • Grundlage der Edition: Ehem. Preußische Staatsbibliothek zu Berlin, gegenwärtig in der Jagiellonen-Bibliothek Krakau, Coll. ling. fol. 55, Mappe 3, Bl. 45–47
    Druck
    • Jacquet 1832, S. 574 (Auszug)
    Nachweis
    • Mueller-Vollmer 1993, S. 230
    • Mattson 1980, Nr. 8447
    Zitierhinweis

    Wilhelm von Humboldt an Eugène Vincent Stanislas Jacquet, Juni 1832. In: Wilhelm von Humboldt: Online-Edition der Sprachwissenschaftlichen Korrespondenz. Berlin. Version vom 15.03.2023. URL: https://wvh-briefe.bbaw.de/355

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