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  3. Nr. 508

Wilhelm von Humboldt an John Pickering, 09.10.1822

|1| Monsieur,

J’aime à me flatter que Vous aurez reçu une longue lettre de ma part écrite l’hiver dernier. Je suis depuis en possession de la Vôtre du 18. Fevrier & des intérressans ouvrages qui l’accompagnoient. Je Vous en présente mes bien vifs remercîmens. Je m’étois justement procuré un exemplaire de l’ancienne édition de la Grammaire d’Eliot de l’université de Göttingen lorsque je reçus Votre nouvelle impression que Vous avez enrichi, Monsieur, d’une introduction extrêmement intéressante. Les notices que Vous y donnez sur les différentes langues qui sont parlées dans le Nord de l’Amérique et sur les dialectes de ces langues, sont vraîment précieuses. Elles répandent une clarté sous ces objets qui ne laisse absolument rien à desirer. Votre nouvelle édition est parfaite. Elle est correcte & on ne peut pas mieux imprimée. Comme j’ai la méthode d’examiner les Grammaires de langues inconnues jusqu’ici de manière à découvrir les analogies de leur formation, j’ai été frappé par la structure singulière des Conjugaisons que renferment leur régime en elles mêmes & que les Grammairiens Espagnols nomment des transitions. Il me semble que les idiômes des langues de<de> |2| l’Amérique septentrionale ont particulièrement soigné & cultivé ces conjugaisons dont on trouve bien des traces dans presque toutes les langues Américaines, mais presque dans aucune des systêmes aussi étendus. Mais ce qui m’a encore plus étonné, c’est la base sur laquelle la différence de ces conjugaisons est établie. Ordinairement les transitions ne sont reconnoissables que par les différens pronoms qui y sont employés, & cette méthode est surtout facile là ou les pronoms qui sont au nominatif, et qui désignent l’Agent sont différens de ceux qui sont à l’accusatif & désignent l’Objet. Dans ce cas là l’origine de ces conjugaisons est aussi très-aisée à expliquer. On a joint ces pronoms, comme Affixes, au Verbe, & la rapidité de la prononciation en a formé un même mot. Mais si l’on examine à fond les paradigmes que donne la grammaire d’Eliot on y découvre un systeme entièrement différent. Le Pronom qui précède le verbe comme Préfixe, dénote d’après la différence des 6 Conjugaisons de ce genre tantôt la personne qui agit, tantôt celle qui est l’objet de l’action, & dans les modes qui n’ont point ces préfixes, il y a certaines lettres dont la présence désigne telle ou telle personne comme objet de l’action. Ces deux marques suffiroient pas entièrement encore pour reconnoître ces Conjugaisons. Mais il s’y joint d’autres circonstances de manière que je suis parvenû à pouvoir déterminer presque de chaque flexion de ces verbes, pourquoi elle ne peut être autre chose que ce qu’elle est véritablement, quoique je n’aye point réussi à les décomposer entièrement, c’est à dire |3| à[a] assigner à chacun de ses élémens sa signification particulière & déterminée. Si l’on me demandoit p. e. quelle flexion est la forme koo-wadchan-uk-oo, je répondrois. Elle doit appartenir au Présent de l’Indicatif, puisqu’elle a un préfixe, et qu’elle manque de la réduplication propre à l’Optatif et de la lettre caractéristique du Préterit. La syllabe uk indique que la personne agissante est la 3. du Singulier ou du Pluriel. Mais comme elle manque de la syllabe caractéristique du Pluriel og elle doit être du Singulier. La personne sur laquelle on agit doit être la 2. du singulier & ou du Pluriel puisque toutes les flexions de la 3. personne agissante qui ont pour objèt les 1. ou 3. personnes du singulier ou du Pluriel ont le Préfixe noo. La syllabe finale oo est une syllabe caractéristique du Pluriel & doit appartenir ici à la personne sur laquelle on agit, puisque la personne qui agit, est au Singulier. La flexion en question ne sauroit donc être autre chose, sinon la 3. personne agissante <du singulier> du présent de l’Indicatif de la Conjugaison qui a pour objèt la 2. personne du Pluriel. Il y a cependant des cas où l’on cette méthode ne conduit pas jusqu’à savoir quelle personne désigne la flexion en question, mais seulement à savoir qu’elle ne peut désigner que deux ou trois personnes de tel tems de verbe & pas d’autres. Dans ce cas les flexions renferment des Elémens que la Grammaire d’Eliot n’explique point, & dont il seroit fort à désirer qu’on découvrit la véritable signification. Dans la forme: koo-wa-q-dchan-ununnaouz-toh p. e. tous les élemens souslignés sont explicables, mais les deux syllabes ununn ne le sont pas. En suivant l’indication des syllabes explicables, cette flexion pourroit désigner ou |4| la 1. personne du singulier du Prétérit de l’Optatif de la Conjugaison qui a la 2. pers. du Pluriel pour objèt, ou la 2. personne du singulier ou pluriel de la Conjugaison qui a la 3. pers. du Pluriel pour objèt. Or la 1. personne du singulier jointe à la 2. du Pluriel, comme à son objèt, a pour Suffixe ununnaouz, les deux autres nommées ci dessus ont onaouz. La différence est donc dans les syllabes ununn & ona dont il me seroit impossible de rendre compte. Je ne doute néanmoins pas qu’aussi ces syllabes & d’autres du même genre n’ayent une signification précise dont la connoissance mettroit en étât de connoître le systême entier de ces conjugaisons. Ce qui me semble être fort essentiel pour la philosophie du langage, & ce qui rend l’examen de ce systême important, c’est qu’il est bien difficile de deviner, comment un pareil systême a pû naître? Tel qu’on le voit il paroit y avoir bien de l’arbitraire. Le pronom préfixé p. e. dénote dans la Conjugaison qui a la 3. pers. du singulier pour objèt la personne agissante, & dans la Conjugaison dont l’objèt est la 2. personne du singulier elle dénote la personne sur laquelle on agit. Pourquoi n’a-t-on pas établi le contraire? & comment une nation entière a-t-elle pû s’entendre sur un point de cette nature qui semble supposer une convention expresse. Je pourrois à la vérité me tromper & le pronom préfixé pourroit avoir être susceptible d’une autre explication. Mais pour lors il seroit pourtant singulier que la règle que je viens d’établir, pût servir, comme je l’ai montré ci-dessus, à déterminer le sens des différentes flexions. J’ai aussi trouvé quelques flexions<passages> où il me semble qu’il doit y avoir de l’erreur dans les flexions telles que Eliot les donne, et telles que je les |5| ai trouvées en exacte conformité dans l’ancienne & la nouvelle édition. Je Vous demanderai la permission, Monsieur, de Vous en citer quelques exemples. Eliot p. 28.

koo-wadchan-uk-qun, he keepeth us

p. 31. koo-wadchan-uk-qun-onuppanneg, they did keep us

34. koo-w-a-adchan-uk-qun-an-toh, I wish he keep us

Dans ces trois formules le préfixe devroit être noo c’est à dire la 1. personne. Car les flexions de la 3. personne du Pluriel & du Singulier dénotent dans la conjugaison dont l’objèt est la 1. personne du Pluriel, toujours la personne sur laquelle on agit. Les formules négatives de ces mêmes flexions qui se trouvent chez Eliot p. 44. 47. 50. ont réellement noo & il n’est guère possible que les formules affirmatives & négatives puissent différer sur ce point. Le koo paroit donc être faux, & devoir être changé en noo.

p. 57. wadchan-un<->oo-óg-kus, if we did not keep you.

Il est probable que la syllabe og ne devroit pas avoir d’accent ici. Elle est sans accent p. 41. dans la formule affirmative de la même flexion, & cela paroit juste. La syllabe non accentuée og indique la 1. pers. du pluriel, la syllabe accentuée óg la 2. pers. du pluriel. Or dans la conjugaison qui a pour objèt la 2. pers. du pluriel, le og représente toujours la personne sur laquelle on agit, & porte toujours l’accent, excepté dans les flexions de la 1. pers. du pluriel agissante. Dans celle-ci le og n’est jamais accentué, puisqu’il représente là la personne agissante. L’unique exception de la formule négative p. 57. semble donc être une erreur.

Vous trouverez peut-être, Monsieur, que j’entre dans des minuties peu dignes d’ecoûter|?| <de fixer> l’attention. Mais l’expérience me prouve journellement que l’étude des langues des i qu’on veut bien nommer sauvages, |6| ne conduit à des résultats vraîment intéressans que lorsqu’on leur voue un examen très-exact & même scrupuleux, ainsi qu’on le fait aux langues classiques. Ceux qui ne veulent que les considérer en général, sans en faire une étude tout a fait particulière, n’en retirent que des observations qu’on peut nommer plutôt curieuses qu’importantes, & en portent nécessairement un jugement enserré. J’ai pris la liberté d’entrer dans ce détail par rapport aux conjugaisons dont je viens de parler, puisqu’il se pourroit que Vous même, Monsieur, ou quelqu’un de Vos amis eussiez occasion d’en approfondir d’avantage la structure & le systême. La même chose seroit aussi nécessaire pour les conjugaisons des Chippeways & des Lenni Lenape, car ce n’est qu’en poursuivant l’analyse des langues aussi bien que possible qu’on parvient à connoître en quoi consiste proprement leur caractère distinctif.

Il est fort à regretter que Eliot n’ait pas voulû entrer dans un plus grand détail dans sa grammaire. Il s’y trouve même des passages, où sa brièveté devient presque inintelligible. C’est ainsi que p. 17. j’ai tâché en vain d’expliquer les mots: And this verb may take jusqu’aux mots: the plural Number of the Noun inanimate.

Ce qui seroit infiniment intéressant à vérifier et à éclaircir seroit l’usage des soi-disantes syllabes supplétives. Eliot p. 23. Les remarques que Vous avez faites à ce sujèt, Monsieur, p. XLIII. sont déjà fort satisfaisantes, mais il s’agiroit surtout de savoir comment on fait usage de ces syllabes, si on les place seules accompagnées de leurs affixes, ou si elles sont toujours incorporées dans d’autres verbes? Il est presqu’ incroyable que ces syllabes n’ayent pour ainsi dire aucune signifi-|7|cation, mais il se pourroit pourtant bien que leur signification n’ajoutât que de très petites nuances aux phrases. J’ai observé que les langues Américaines ont assez souvent des syllabes ou des particules qui semblent être articulées plutôt à cause du son, qu’à cause du sens qu’elles renferment. Ces notions semblent se plaire à débiter & à enchaîner ensemble un grand nombre de syllabes courtes liées à un même mot. C’est là sans doute aussi l’origine de l’usage de quelques unes de ces langues, surtout de la Mexicaine, de répéter plusieurs fois la même syllabe. La langue Péruvienne possède une douzaine de particules qu’elle ajoute partout & pour lesquelles il existe un ordre fixe & stable dans lequel elles se suivent, lorsque plusieurs sont mis en usage à la fois. La nuance qu’elles donnent à la Phrase, est presqu’ imperceptible & elles ressemblent plutôt à une espèce de chant & de cadence qui a été réduit à des règles déterminées. II seroit très-important à connoître, si un cas semblable existe dans l’idiôme des Massachusetts Indiens, & si les syllabes supplétives d’Eliot y appartiennent. Mais on ne pourroit apprendre ceci que par la conversation même avec ces Indiens. Car il est naturel que ces syllabes passent plus rarement dans les dictionnaires, les Grammaires & les traductions qu’on a essayé de faire.

Mais je craindrois d’abuser de Votre patience, Monsieur, en m’étendant d’avantage sur les caracté |?| réflexions que Vos intéressans envoys m’ont fait faire. Vous verrez du moins par ce petit échantillon que Vous ne les avez point fait à un ingrat. Ils m’ont causé le plus grand plaisir & j’ai tâché d’en tirer autant d’instruction & de fruit que possible.

J’espère pouvoir bientôt commencer àprésent mon ouvrage |8| sur les langues de Votre Continent. Il ne me reste plus que très-peu d’Idiômes à étudier, mon plan étant de ne point commencer le travail général avant d’avoir formé des grammaires particulières de chaque langue dont je possède des matériaux. Je voudrois, autant que mes foibles talens le permettent, faire un ouvrage solide, et dont toutes les parties reposeroient sur une connoissance exacte et complette de la nature & de la structure des différens idiômes.

J’ai lû il y a quelques mois à l’Académie de Berlin un mémoire sur la différence des formes grammaticales des langues cultivées & de celles qui ne sont pas parvenues à posséder une litérature. Comme j’y parle beaucoup des langues Américaines je prendrai la liberté de Vous le communiquer dès qu’il sera imprimé.

La mention flatteuse que Vous avez faite, Monsieur, de mes foibles travaux dans Vos écrits, excite toute ma reconnoissance. Je Vous prie d’en accepter l’expression. Vos suffrages & ceux de Vos compatriotes me serviront d’encouragement à poursuivre ma route souvent aride & hérissée de nombreuses difficultés.

Veuillez me conserver, Monsieur, Votre souvenir bienveillant, & agréez l’assurance de la considération très-distinguée avec laquelle j’ai l’honneur d’être,
Monsieur,
Votre
très-humble, & très-obéissant
serviteur,
Humboldt.
à Tegel près de Berlin, ce 9. Octobre, 1822.

J’écris aujourd’hui par la voye de Londres à Mr. Everett, & Vous prie, Monsieur, de le lui faire savoir pour le cas que ma lettre éprouvât quelque fâcheux accident.

Anmerkungen

    1. a |Editor| Ergänzt aus der Kustode.
    Zitierhinweis

    Wilhelm von Humboldt an John Pickering, 09.10.1822. In: Wilhelm von Humboldt: Online-Edition der Sprachwissenschaftlichen Korrespondenz. Berlin. Version vom 15.03.2023. URL: https://wvh-briefe.bbaw.de/508

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