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Wilhelm von Humboldt an John Pickering, 12.07.1828

|1| Monsieur,

J’ai bien des excuses à Vous faire, Monsieur, de ne pas avoir répondû plutôt aux deux lettres intéressantes que Vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 27. Nov. et le 29. Décembre de l’année dernière. Il auroit été également de mon désir & de mon devoir de Vous remercier incessamment des envois qui accompagnoient ces lettres. Mais sachant dès l’automne que je devois faire un voyage de six mois à Paris et à Londres j’eus tant d’affaires indispensables sur les bras dans les trois premiers mois de l’année que je me vis contraint de mettre à côté toute correspondance littéraire quelque grand qu’en fût mon regret. Je dois donc Vous prier, Monsieur, d’agréer aujourd’hui mes sincères & vifs remercîmens des marques de bonté et d’intérêt que Vous continuez de me donner. J’y suis, on ne peut pas plus, sensible, et en retire le plus grand fruit pour mes études favorites.

La Grammaire de M.r Zeisberger est sans contredit la meilleure qu’on possède d’aucune langue Américaine, et comme la langue dont elle développe les principes, est une des plus intéressantes, cette publication fera sans doute époque |2| dans l’étude des langues. Le systême de conjugaison que les Grammairiens Espagnols nomment Transitions et dont on trouve quelques traces aussi dans les langues de l’ancien continent, semble appartenir essentiellement au Nord de l’Amérique. Car il n’existe nulle part aussi complet et aussi régulièrement développé que dans la langue Delaware. La Mexicaine en possède beaucoup, mais cette particularité grammaticale se trouve bien moins dans les idiomes de l’Amérique méridionale. Il est également intéressant de comparer les formes grammaticales données par Zeisberger à celles renfermées dans la grammaire d’Eliot. Je suis entièrement de Votre avis, Monsieur, que ces langues subissent bien peu d’altérations dans le cours des siècles. C’est une grande preuve que le manque d’un Alphabet ne rend pas les langues moins stables, et que les formes et les terminaisons données aux mots, sont si inhérentes dans l’esprit et dans les organes des nations qu’elles conservent jusqu’aux plus petites variations des voyelles et des consonnes.

Le nouvel alphabet indigène Cherokee dont Vous me parlez, Monsieur, est un phénomène bien remarquable. Je ne m’étonne cependant pas que les Indiens préfèrent un Alphabet syllabique. Comme les consonnes ne peuvent être prononcées qu’à l’aide des voyelles, ceux qui n’ont jamais lû, éprouvent une certaine difficulté à comprendre que l et a p. e. doive faire la. Un alphabet syllabique est certaine-|3|ment moins commode et moins philosophique, mais plus naturel que le nôtre. Ce n’est vraîment pas la lettre, mais la syllabe qui constitue l’unité dans la prononciation des mots. Les alphabets Indiens que je crois remonter à une haute antiquité, ont pour la plupart conservé des traces de la nature syllabique. Car une consonne qui n’est pas suivie d’une voyelle tracée expressement, se prononce toujours avec une certaine voyelle constamment sousentendue, et il faut un signe particulier pour la faire regarder pour une consonne isolée. – L’espérance que Vous me donnez, Monsieur, de la publication prochaine de Cotton’s Dict. de la langue de Massachusetts, m’a fait un plaisir extrême. On possédera alors tous les matériaux nécessaires pour juger de la langue des Délawares quoique dans deux dialectes différens. Cela complettera la Grammaire de Zeisberger qui laisse un Vocabulaire à désirer.

Je conçois entièrement, Monsieur, que Vous vouez Votre attention en premier lieu aux occupations d’affaires que Vous suivez d’une manière aussi éminemment distinguée, ainsi que me l’ont repété plusieurs de Vos compatriotes que j’ai eû le plaisir de voir à Berlin. Le zèle d’être utile à ses concitoyens doit toujours aller avant tout autre considération. Mais je ne puis que regretter vivement que Vous pourrez par cette raison consacrer moins de tems aux sciences et aux travaux littéraires. C’est une perte bien réelle aussi pour tous ceux qui s’occupent de ces objèts en Europe. J’aime par |4| cette raison me flatter que Vous réussirez, Monsieur, à dérober de tems en tems quelques momens de loisir aux Affaires pour les employer à des recherches scientifiques. Je crois pouvoir dire avec vérité que je n’ai pas été oisif dans le long espace de tems où à mon grand regret j’ai été sans recevoir de Vos lettres. J’ai tâché de rendre, autant que mes facultés & mon tems me l’ont permis, mes études des langues plus étendues et surtout plus solides. J’ai fait ces efforts surtout pour me mettre mieux en étât de developper la nature des langues Américaines. J’ai étudié quelques unes de ces dernières que je connoissois que très-imparfaitement jusque là, ainsi que la Chiquita, le Caribe, l’Arawaque, l’Aymara et d’autres. Mon plan est toujours de donner une analyse aussi complette que possible des langues du nouveau continent, et d’y rapporter toutes les recherches & toutes les études que j’ai faites sur d’autres langues du globe. Mais je crois absolument nécessaire de faire preceder mon ouvrage sur les langues Américaines d’une introduction générale dans laquelle je développerai mes idées sur les langues en général autant que je suis en étât de la faire àprésent. Cette introduction est terminée de plus de moitié, et je pourrai ainsi mettre sous peu main à la partie pour laquelle Vous avez bien voulû, Monsieur, me secourir de tant et de si précieux matériaux.

Veuillez me agréer de nouveau mes profonds remercîmens, & veuillez me conserver ces mêmes sentimens d’intérêt & de bienveillance. J’ai l’honneur d’être avec la considération la plus distinguée,
Monsieur,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
Humboldt.
à Londres, ce 12. Juillet, 1828.
Zitierhinweis

Wilhelm von Humboldt an John Pickering, 12.07.1828. In: Wilhelm von Humboldt: Online-Edition der Sprachwissenschaftlichen Korrespondenz. Berlin. Version vom 15.03.2023. URL: https://wvh-briefe.bbaw.de/512

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