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Wilhelm von Humboldt an Peter Stephen Duponceau, 09.04.1823

 Monsieur

Je suis vraiment honteux de ne répondre qu’aujourdhui premièrement à votre lettre obligeante du 28. Juillet, 1821. mais je puis vous assurer, Monsieur, que ce retard n’est point un effèt de ma négligence, mais simplement du hazard, & du sort que les lettres qui arrivent par mer éprouvent si souvent. Ce n’est que dans les derniers mois de l’année 1822. que Votre lettre m’est parvenue, & quant aux livres qui l’accompagnoient, je ne les ai reçus qu’avant peu de semaines. Ils avoient été remis à Paris à mon frère Alexandre qui vous est connu, Monsieur, par son voyage dans Votre continent, & son voyage en Italie, où il étoit appellé pour y accompagner le Roi, l’a empêché de me les envoyer plutôt.[a] Je vous prie donc bien instamment, Monsieur, d’excuser ce retard involontaire, & de ne point l’attribuer à un manque de reconnoissance & d’attention, mais d’agréer mes bien vifs & sincères remercîmens des services intéressans que Vous avez eû la bonté de me faire.[b]  Je suis chargé en même tems de la part du Ministre préposé au Département de l’Instruction publique ici de vous offrir également l’expréssion de sa reconnoissance des livres que Vous destiniez dans votre lettre à la Bibliotheque du Roi & que je lui ai fait remettre soigneusement.[c]

Les services essentiels que vous avez rendû, Monsieur, & que vous continuez de rendre à tous ceux qui s’occupent des langues par vos travaux & les éclaircissemens importants que vous avez bien voulû fournir en plusieur idiômes Américains, rendront pour toujours votre nom également cher et précieux à tous ceux qui se vouent à cette étude intéressante, & je ne saurois assez vous exprimer avec quel plaisir & quel intérêt je recois tout ce qui me parvient directement & indirectement de votre part. Comme Vous continuez toujours à Vous occuper de ces mêmes objets, je suis convaincu que nous pouvons encore nous attendre à voir paroître des travaux qui avanceront essentiellement la connoissance des langues sauvages de l’Amérique septentrionale, & j’attends sur tout avec impatience la grammaire de Zeisberger.[d] J’ai fait une analyse exacte & détaillée de l’idiome des Indiens de Massachusettes d’après la grammaire d’Eliot, des Muhhekanew d’après le traité de Edwards, & des Onondagos d’après un manuscrit de Zeisberger que vous avez eû la bonté de communiquer à M.r Vater. Mais voilà jusqu’ici les seuls idiomes des nations entre la[e]  Nouvelle Espagne & les Esquimaux, desquels j’ai pû me former une idée un peu détaillée, & même ces matériaux ne laissent pas que d’être encore assez incomplèts. Votre correspondance avec M.r Heckewelder en contient de très-précieux sur l’idiôme Lenni Lenape; mais il n’entroit pas dans votre plan de donner une Grammaire proprement dite, & j’ai cru devoir attendre la publication de la Grammaire de Zeisberger. Je prends meme |sic| un manuscrit sur les conjugaisons des Chippeways. Il m’a parû voir que tous ces idiômes ont une tournure grammaticale assez différente des autres langues de l’Amérique, quoiqu’en grand le caractère & les structures soyent toujours les mêmes. Mais le systême des transitions y est beaucoup plus général, plus développé & plus régulier que dans la plupart des autres. Dans les langues de l’Amérique méridionale il l’est beaucoup moins, comme j’ai cru observer au moins. La Grammaire d’Eliot m’a fourni surtout des matériaux suffisans pour reconnoître le systeme observé dans ces conjugaisons qui est infiniment curieux. Si l’on compare ce système avec ceux que les autres idiômes Américains suivent dans ce même point, je suis sûr que cela conduira à des rapprochemens intéressans. Je me propose de le faire dans le plus grand détail et avec l’exactitude la plus scrupuleuse dans mes recherches sur les langues de l’Amérique.

J’ai àprésent formé des grammaires particulières de toutes ces langues sur lesquelles nous avons des matériaux suffisans pour un pareil travail. Il s’en trouve a peu près 25. seulement, & il ne me manque que deux ou trois choses que je terminerai cet été. Quant aux dictionnaires je n’en connois de vraîment détaillés que de la langue Gronlandoise |sic|, Mexicaine, Péruvienne & Brasilienne ou Guarani. Je possède encore un manuscrit assez complet sur la langue des Coroados, & plusieurs travaux considérables dans ce genre sont en votre possession, Monsieur. A dater du commencement de l’année prochaine, je compte pouvoir commencer mon ouvrage. La première partie sera la partie grammaticale, & je partirai en rédigeant les résultats de mes recherches d’un double point de vue. D’un coté je traiterai la partie, pour ainsi dire historique des langues Américaines & c’est là que j’examinerai leur affinité entr’elles et les traces qui peuvent nous conduire à nous former des idées plus complettes & plus nettes sur leur origine. D’un autre côté, & c’est par là que je commencerai, je tâcherai d’exposer la partie philosophique de leur structure grammaticale & léxicale. Il m’a parû indispensable pour cet effet d’étudier d’abord chaque langue en elle même, puisque chaque langue forme un ensemble dont il faut toujours commencer par ébaucher le tableau; mais après cela il faut réunir tout ce que les langues Américaines ont de particulier, & c’est ce que je ferai dans une dissertation préliminaire très-détaillée. J’y passerai en revue la grammaire entière, et sans avoir égard à l’affinité des langues, j’exposerai simplement de quelle manière chaque partie grammaticale, le verbe, le substantif ect. est formé & traité dans les différentes lan-gues en établissant des classes générales. Cette méthode contribuera beaucoup à ce que j’espère, à se former une idée plus précise de l’origine des différentes formes grammaticales, des variétés quelles peuvent offrir dans les différens idiômes & de l’influence que leur formation différente exerce sur l’esprit de ceux qui parlent la langue dont il est question. Ce traité préliminaire sera par là une grammaire comparative de tous les idiômes Américains, ainsi qu’on pourroit & devra avec le tems en former une de tous les idiômes de la terre: Car il y a évidemment deux genres de grammaire générale également importans à étudier, l’une philosophique qui ne precise ses principes que dans l’idée abstraite de la parole & du langage, & l’autre historique qui donne un appercû méthodique de la manière dont les différens peuples de la terre ont réellement formé les idiômes qui leur ont appartenûs. Ce n’est qu’un travail fait sur ce dernier plan, d’après lequel on pourroit réussir ce qu’on a déjà tenté souvent, de former différentes classes de langues, car il s’en trouve évidemment qui se ressemblent dans plus ou moins de points de leur grammaire. Jusqu’ici où en a encore rassemblé trop peu de faits pour pouvoir établir des généralités sur aussi peu de données, les tentatives de classifier les langues n’ont pas pû conduire à un resultat vraiment satisfaisant. Il existe cependant une grande différence qu’on peut établir avec certitude entre les langues connues qui me semble fort importante, c’est celle si les signes ou élémens de la parole qui indiquent des rapports grammaticaux, ne sont que simplement annexés aux signes qui indiquent des choses, ou pour ainsi dire le matériel de la phrase, ou si ces signes grammaticaux forment une unité parfaite avec le reste du mot. La simple agglutination se trouve dans la plupart des langues Américaines, tandis que les langues classiques unisent si parfaitement l’inflexion avec le mot, qu’on a de la peine souvent à découvrir comment elle y a été jointe. Il m’a toujours paru que ce ne sont que ces dernières langues auxquelles on peut vraîment attribuer des formes grammaticales. Dans les autres le mot n’est pas proprement grammaticalement formé, mais on le pose séparément & y attache après par un signe particulier l’idée grammaticale. Cela est surtout évident dans la grammaire Chinoise qui le plus souvent se dispense même d’indiquer par un signe quelconque la valeur grammaticale des mots & abandonne aux lecteurs de la deviner, & de la suppléer. L’influence de cette différence des langues sur la manière de penser, sur la facilité de combiner & d’exprimer des idées dans le langage me semble être visible. Il est en général dans la nature des choses que la matière & les formes ne doivent faire qu’un même ensemble. Cela paroit surtout essentiel dans le langage. Car comme le langage n’est autre chose que la pensée fixée par le son, & revêtue pour ainsi dire d’un corps matériel, il est essentiel pour la clarté, la précision & la célérité des combinaisons différentes de la pensée que l’esprit n’ait point à se representer la forme des paroles qui consiste dans leurs rapports grammaticaux, séparés de la matière du discours, si j’ose me servir de cette expression, que les rapports grammaticaux trouvent également leurs signes pour l’oreille de celui qui écoute, & que ces signes ne soyent autre chose que de simples modifications des mots qui représentent le matériel des choses. Mais malgré l’importance que j’attaches à cette différence des langages, il ne faut pas s’imaginer qu’une langue quelconque appartient en entier et exclusivement à une de ces deux classes. Quoique par exemple la simple agglutination domine généralement dans les langues de l’Amérique, on trouve également ce qu’on doit nommer inflexion en elles aussi bien que dans les langues classiques. Je ne cite p. e. que l’o qu’on ajoûte au parfait dans le Mexicain, & je pourrois ajouter un nombre de cas ou les différentes personnes ou tems des verbes ne se distinguent que par les voyelles qui les terminent sans qu’on puisse rendre raison pour quoi l’une désigne plutôt que l’autre, telle personne et tel tems. Il faut ajoûter encore que les langues classiques mêmes peuvent avoir commencé par n’avoir que des agglutinations, qui par la suite des tems ont passé en inflexions. Il seroit encore moins justes de dire que les langues, qui à le prendre dans la totalité n’ont point de formes grammaticales dans le sens que je viens d’établir, soyent entièrement incapables de conduire les peuples qui les parlent, à un dégré considérable de civilisation ou de culture intellectuelle. Nous voyons le contraire dans les Chinois & les anciens Egyptiens. Car la langue Copte que l’on croit avoir été la langue ancienne de l’Egypte, a une methode d’agglutination des signes grammaticaux assez resemblants à celles qui se trouve dans les langues de l’Amérique. L’esprit humain, quel que soit l’organe dont il se sert, parvient toujours à son but, tout ce que je veux dire c’est que le manque de véritables formes grammaticales, doit opposer nécessairement à la pensée un obstacle qui est à vaincre par elle, & que ces formes au contraire offrent à l’esprit une facilité dans la ma-nière de combiner les idées qui ne sauroient rester sans les suites les plus heureuses sur les conceptions intellectuelles. Pour mieux développer mon idée je dois dire encore que les signes des rapports grammaticaux ne sont au fond, au moins dans leur origine, que des signes de choses qu’on employe métaphoriquement à désigner ces rapports. C’est ainsi que les prépositions dans, derrière sont désignés dans quelques unes des langues Américaines par les substantifs de ventre, dos. Or il est évident que dans un raisonnement purement dialectique il ne pouroit |sic| être convenable de substituer partout ces idées materielles là où on ne voudroit exprimer que les rapports locaux. L’habitude parvient à la fin aussi à vaincre cet obstacle, mais cela n’en est pas moins un qui doit être vaincû, & l’idée ne sauroit jamais se présenter avec netteté & élégance que lorsque le signe du rapport grammatical n’est que la forme légèrement modifiée sous laquelle le mot qui indique l’idée se présente. Il est naturel aussi que les langues qui agissent par agglutination doivent avoir des mots nécessairement longs, et employer un plus grand nombre de sons pour exprimer des rapports sur lesquels l’esprit demande à passer rapidement.

Mais je crains de vous avoir déjà trop fatigué, Monsieur, par mon bavardage sur une matière que vous continuez journellement à approfondir de plus en plus.

Je vous prie de vouloir bien m’excuser en faveur de la satisfaction que je trouve de m’entretenir avec vous, & d’agréer l’expression de la considération la plus distinguée, avec laquelle j’ai l’honneur d’être
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant Serviteur.
Humboldt.
à Berlin, ce 9. Avril, 1823.[f]

Anmerkungen

    1. a |Editor| Duponceau notiert zusammenfassend am linken Seitenrand „apology“
    2. b |Editor| Duponceau notiert zusammenfassend am linken Seitenrand „thanks“
    3. c |Editor| Duponceau notiert zusammenfassend am linken Seitenrand „thanks“
    4. d |Editor| Duponceau notiert zusammenfassend am linken Seitenrand „Compliments“ bzw. „Zeisb. = gram?“
    5. e |Editor| Duponceau notiert zusammenfassend am linken Seitenrand „analyses Eliot – Edwards“ bzw. „Onondagos“
    6. f |Editor| Auf S. 1 des Briefes steht die Notiz: "Baron W. Humboldt / Berlin 9 Apl. 1822 / Recd 22d Augt." Diese Datierung ist falsch.

    Über diesen Brief

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    Quellen

    Handschrift
    • Grundlage der Edition: Philadelphia, Historical Society of Pennsylvania, Gratz Coll. – Abschrift: Philadelphia, American Philosophical Society, Hist. and Lit. Comm., Philological Note-Books, vol. 5, p. 19–24
    Druck
    • Swiggers 1999, S. 455–461
    Nachweis
    • Mattson 1980, Nr. 7289
    Zitierhinweis

    Wilhelm von Humboldt an Peter Stephen Duponceau, 09.04.1823. In: Wilhelm von Humboldt: Online-Edition der Sprachwissenschaftlichen Korrespondenz. Berlin. Version vom 15.03.2023. URL: https://wvh-briefe.bbaw.de/518

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