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Wilhelm von Humboldt an José María de Murga y la Barrera, 20.07.1801

Monsieur,

Comment me pardonnerez Vous, mon digne et respectable ami, d’avoir tardé jusqu’à présent de Vous écrire? Mais je m’étais proposé de ne le faire qu’après être revenu ici à Paris, et en arrivant ici je voulais Vous donner réponse en même temps sur la carte de la Grèce qui manque à Votre Voyage d’Anacharsis. Mr. Barbié du Bocage que je devais voir pour cet effet était allé pour quelques semaines à la campagne, il n’est revenu que depuis très peu de jours et ce n’est qu’aujourd’hui que je puis satisfaire un désir que j’avais depuis tout le tems que je Vous ai quitté à Bilbao.

Vous savez déjà par Vos amis à Guernica et Azpeitia que mon retour de Bilbao n’a pas été aussi agréable que le fût mon premier voyage. Une pluie presque continuelle m’a persecuté depuis Portugalete jusqu’à Bayonne, et un débordement dont Bilbao doit avoir beaucoup souffert aussi m’a tenu presque deux jours à Guernica.

Cependant j’ai eu de beaux lumières pour jouir de la belle situation de Bermeo, du joli port de Lequeitio et de quelques autres points de vue pittoresques et étant très peu sensible aux injures du tems je ne me suis pas occupé avec moins d’intérêt du pays que je parcourais.

Je ne saurais vous dire avec quelle bonté et quelle amitié Monsieur d’Iturriaga m’a accueilli chez lui, quelle soirée agréable j’y ai passé et avec quel regret j’ai résisté à son invitation amicale d’y rester encore la journée suivante. Malheureusement le jour de mon arrivée à Bayonne était impérieusement fixé et il me fallut partir malgré le tems horrible qu’il faisait.

Nous avons beaucoup parlé de Vous, Monsieur, avec Mr. et Mme. Iturriaga, l’oncle D. Ramón m’a conté quelques contes basques et je me suis trouvé dans cette famille respectable traité le premier jour comme si j’y avais déjà passé des semaines entières, fruit précieux de cette hospitalité généreuse, de cette candeur et franchise de caractère que l’on trouve si rarement dans d’autres païs et qu’on ne trouve nulle part ainsi que dans quelques familles de la Biscaye, ornées de toutes les graces de l’esprit. Madame d’Iturriaga m’a raconté qu’étant encore dans la maison de son père, Mr. de Mugartegui, elle a passé une portion de son enfance avec Vous, Monsieur, elle m’a beaucoup parlé de Monsieur Votre père pour qui, d’après tout ce que les personnes les plus diffèrentes m’ont dit de lui, j’ai conçu la plus grande estime et un vif regret de ne pas l’avoir vu davantage.

Qu’est-ce en général qu’un voyage fait rapidement! Celui de Biscaye m’a laissé des souvenirs bien doux, des souvenirs qui m’occuperont encore longtemps et que je ne perdrai jamais, mais combien aussi ne m’est-il pas resté de regrets de n’avoir pas pu séjourner plus longtemps dans un païs qui m’attachait par tant d’attraits, d’avoir quitté si promptement des personnes qvec qui j’aurais au moins voulu passer plusieurs mois.

Revenu à Bayonne j’ai encore parcouru le païs Basque Français. Ce voyage n’a pas été sans intérêt pour moi mais quelle difference cependant entre ce païs et la Biscaye. Les habitants en ont peut-être une certaine légèreté et une certaine grace qui en résulte de plus que les Biscayens, leur langage surtout (je puis le dire devant Vous Monsieur, qui êtes un connaisseur éclairé et non pas un partisan aveugle de Votre dialecte) me parait bien plus doux que celui des habitants du Señorío et j’y commençais un peu à comprendre ce qu’ils disaient et balbutier moi-même quelques phrases. Mais ils manquent des qualités solides et essentielles des Biscayens.

Au lieu que ces derniers sont la portion la plus éclairée des Espagnols, les Basques sont superstitieux et pleins de préjugés au milieu des Français|?|. Ils sentent qu’ils ne forment point, comme les Biscayens, un corps politique respectable et distingué et n’ont point le caractère qui résulte nécessairement de ce sentiment. Ils sont une peuplade jettée par le hasard au milieu d’une nation puissante et éclairée et par là ils ont dans leur caractère quelques uns des traits que l’on retrouve dans toutes les peuplades ou isolées ou opprimées.

Car il me parait incontestable que quelque soit le sort qu’aient éprouvé les privilèges des Provinces Basques de l’Espagne, tous les heureux effets que produit le sentiment d’une liberté bien ordonnée et d’une égalité parfaite de droits, se trouvent evidemment exprimées dans le caractère de la nation Biscayenne. La Biscaye est le seul païs que j’ai jamais vu où la culture intellectuelle et morale soit vraîment populaire, où les premières et les dernières classes de la société ne soient pas séparées par une distance pour ainsi dire immense, où l’instruction et les lumières des premières ont pénétré au moins jusqu’à un certain point jusqu’aux dernières et où la bonhomie, la franchise, l’innocente candeur de celles-ci n’est pas devenue étrangère aux premières. C’est là surtout le grand attrait qu’a eu ce païs-là pour moi. On voit là véritablement une nation, la force, le mouvement, même la forme générale du caractère vient de la masse et n’est que cultivé et raffiné par les individus que leur situation personnelle a mis en état de faire des progrès plus rapides. Dans presque tous les autres païs le peuple n’est qu’une masse inerte.

C’est surtout le cas en France et si la nation française a toujours manqué d’esprit public, si on a vu régner tour à tour dans ce païs ou une superstition affreuse ou un libertinage d’esprit également pernicieux aux moeurs, si même la plus haute poésie des Français manque souvent de vigueur et de naturel c’est, ce me semble, que c’est pas |sic| le génie et l’esprit de la masse nationale qui domine en France mais plutôt les opinions de quelques classes qui en donnant le ton, n’excitent que de faibles imitations dans les autres.

Je n’ai pas cessé de m’occuper de la Biscaye pendant les quatre semaines que je suis de retour ici. J’ai beaucoup étudié la langue, j’ai copié un dictionnaire basque manuscrit[a] que j’ai trouvé à la Bibliothèque Nationale, j’ai étudié la langue ancienne des Irlandais et du païs de Galles et les ouvrages que l’on a écrit sur cet idiome. J’ai preparé en un mot autant que j’ai pu le petit travail que je compte faire cet hiver sur la langue et la nation Basques[b] qui donnera, au moins, j’espère, une idée plus juste et plus raisonnable sur l’un et l’autre objet.

Vous, Monsieur, Vous occupez trop peu de Votre langue nationale à ce qu’il m’a paru pour que j’aye pu oser demander quelques secours pour cette entreprise toujours assez difficile pour un étranger. Vous avez certainement des occupations plus importantes à suivre; cependant Vous m’obligeriez infiniment si Vous vouliez vouer quelques instans seulement à un petit travail qui néanmoins me serais bien précieux. Je désirerais donner un petit échantillon de la langue elle-même. Comme on n’a que des livres de dévotion je ne pourrais le choisir que de là ou du Nouveau Testament. J’ai même déjà fait pour cet effet une version exacte, verbale et interlinéaire dans le genre dont Des Marais les dresse des auteurs anciens de quelques morceaux de ces livres. Mais de quel prix il serait d’avoir un seul chapitre ou de Tacite ou de Salluste ou de Tite-Live rendus dans Votre langue? Ne pourrais je point obtenir ce présent de Vous, Monsieur? N’allez pas me dire que Vous n’avez pas assez étudié Votre langue pour cela. Je sais par bien des personnes, qui me l’ont assuré souvent, que Vous la parlez aussi correctement qu’élégamment. Ne me renvoyez pas à quelques autres personnes que je consultais sur Votre idiome en Biscaye. Vous m’avez permis de Vous parler sincèrement, je puis donc Vous dire avec franchise que quelques respectables que soient ces personnes, quelque profonde leur connaissance de Votre langue, il est impossible qu’elles fassent une traduction avec la même énergie et la même élégance qu’un homme nourri de la littérature ancienne et de la plus belle des nations modernes ainsi que Vous, Monsieur. Même le châpitre le plus court me serait extrêmement précieux et il serait un monument durable de Vos bontés pour moi.

Notre ami Eguía[c] vous aura dit que j’ai eu le plaisir de le rencontrer dans la route de Bayonne à Paris, mais que j’ai eu le regret de le quitter presqu’aussi-tôt. Je Vous prie bien instamment Monsieur, de lui dire mille choses amicales de ma part et de lui rappeler ses promesses de me faire avoir de la musique Basque ou par lui-même ou par son ami Monsieur de Corral à Zarauz qui m’en avait promis mais qui doit l’avoir oublié. Tous les paquets qu’il voudra adresser à Monsieur Bardewisch, Commisaire des relations commerciales de la Prusse à Bayonne me parviendront sans faute. Une simple lettre me trouvera plus vite par la poste sous l’adresse directe à Mr. de Humboldt, l’aîné à Berlin et c’est sous cette adresse que je Vous prierais, Monsieur, de vouloir bien me donner de Vos nouvelles.

Quand aux grandes nouvelles politiques, je ne saurais rien Vous en dire du tout, Monsieur. Tous les points sur lesquels la curiosité du public était fixée il y a quatre mois et davantage ne sont pas encore decidés dans ce moment et on n’a peut-être jamais observé un silence aussi parfait sur des choses aussi importantes. La santé de Buonaparte, puisque Vous avez sans doute entendu parler de son indisposition est entiérement rétablie et la France n’a rien à craindre à cet égard.

David vient de finir son portrait de Bonaparte. Le héros passe, monté sur un cheval blanc, le mont St. Bernard et montre à ses troupes la cime de la montagne qu’ils doivent encore atteindre[d]. La vigueur du cheval, la physiognomie du guerrier, son grand manteau soulevé par le vent et le païsage sauvage et solitaire concourent à faire une très forte impression sur l’âme du spectateur. On pourrait cependant trouver à redire contre plusieurs petites choses et je crains que le portrait surtout de Bonaparte ne sera pas trouvé assez ressemblant.

Un Français nommé Villers, qui a habité l’Allemagne pendant plusieurs années, vient de donner en français une exposition de la Philosophie de Kant dont Vous avez certainement ouï parler. Il fait une attaque formelle contre la philosophie des Français qu’il trouve trop superficielle et cet ouvrage ne laisse pas d’être un phénomène assez intéressant. Je ne l’ai cependant pas encore assez lu pour le juger entièrement. Je suis très faché, Monsieur, que les nouvelles que je Vous donne de la carte de la Grèce qui Vous manque ne soient pas plus favorables. Le dessin en est dans le portefeuille de Barbié de Bocage mais puisque Didot le jeune qui a imprimé cette édition a fait banqueroute et qu’il doit encore des sommes considérables à Barbié de Bocage celui-ci ne veut pas les faire graver avant qu’il ne se soit arrangé avec Didot ce qui pourra encore durer fort longtems.

Je vais finir cette lettre. Pardonnez-en la longueur, mon respectable ami, faites moi le plaisir de présenter mes respects à Madame Murga et de me rappeler au souvenir de Mrs. de Mazarredo, Iturriaga et tous ceux qui voudront bien se souvenir encore de moi. Je ne pourrais jamais oublier leurs bontés pour moi, l’amitié dont ils m’ont comblé et je m’estimerai infiniment heureux si Vous voudriez bien me donner bientôt de Vos nouvelles et des leurs.

Agréez en attendant l’assurance des sentiments d’estime, d’attachement et d’amitié avec lesquels je suis toujours.
Monsieur
Votre
très humble et très obéissant
serviteur,
HUMBOLDT.
à Paris
le 20. d. Juillet
1801

Anmerkungen

    1. a |Editor| In der Bibliothèque Nationale de France gibt es heute zwei Exemplare des Dictionnaire basque-français, par Silvain Pouvreau, prêtre du diocèse de Bourges aus dem 17. Jahrhundert. [FZ]
    2. b |Editor| Die Ankündigung einer Schrift über die Vaskische Sprache und Nation erschien im Jahr 1812, die Monographie Prüfung der Untersuchungen über die Urbewohner Hispaniens vermittelst der Vaskischen Sprache erst 1821. [FZ]
    3. c |Editor| Bei dem genannten Eguía dürfte es sich um den Sohn des Joaquín María de Eguía y Aguirre, 3. Marqués de Narros (1733–1803), namens Francisco Javier María de Eguía y del Corral (1760–1830) handeln. Denn Humboldt schreibt in den Vasken: "Daher haben viele Familien doppelte Namen, und da einer derselben dem Titel, der andre der Familie angehört, der Titel aber, streng genommen, nur Einem, dem Erstgebohrenen zukommen kann, so führt manchmal der Sohn einen andern, als der Vater. So z.B. heisst der Sohn des Marques de Narros, einer sehr bekannten Familie, nur Eguia." (Humboldt 2010, S. 175). Der Vater, Joaquín María de Eguía, war ein bedeutender Informant Humboldts im Baskenland (Humboldt 2010, S. 355f. und 359 sowie Index S. 421 [dort eigenartigerweise "José María"!]). [FZ]
    4. d |Editor| Siehe den ausführlichen Artikel in der französischen Wikipedia. [FZ]
    Zitierhinweis

    Wilhelm von Humboldt an José María de Murga y la Barrera, 20.07.1801. In: Wilhelm von Humboldt: Online-Edition der Sprachwissenschaftlichen Korrespondenz. Berlin. Version vom 15.03.2023. URL: https://wvh-briefe.bbaw.de/598

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