Monsieur,
Vous devez me trouver bien ingrat, Monsieur, de n’avoir pas répondû jusqu’ici à
la lettre détaillée que Vous m’avez fait l’honneur de m’écrire sur le mot nai et son emploi comme Particule et comme PronomAls Auszug 1833 im Nouveau
Journal Asiatique erschienen. [FZ]. Je ne saurois Vous
exprimer, combien cette discussion dont chaque ligne annonce la main du Maître
dans ces matières, m’a été precieuse. Je Vous prie, Monsieur, d’en agréer tous
mes remercimens. La question est décidée maintenant, et j’ai vû avec grand
plaisir que j’avois parfaitement raison de m’en tenir strictement à Votre Grammaire sur ce point. Cet exemple prouve au reste de
nouveau que les thèses de cette Grammaire, si admirable aussi pour sa brièveté
et sa méthode, sont basées sur une immense lecture et l’érudition la plus
profonde. D’après ce que Vous exposez avec tant de clarté, Monsieur, il me
semble assez difficile de decider, s’il existe réellement une liaison quelconque
entre l’emploi pronominal et adverbial de nai? D’un
côté cette supposition ne semble pas dénuée de fondement, mais de l’autre je
panche pourtant plus vers l’opinion que Vous émettez sur l’origine de cette
liaison apparente, et le résultat que j’en tire pour moi, est que, si j’avois eû
Votre lettre avant la publication de mon mémoire
Die Abhandlung Humboldts, gehalten am 17.
Dezember 1829, wurde bereits im Frühsommer 1830 gedruckt an Freunde
verschickt; siehe dazu Leitzmann in: GS VI, S. 334. Der gesamte Band der
Abhandungen der Akademie für das Jahr 1829 erschien erst 1832. [FZ],
je n’aurois point cité le Chinois comme offrant l’example d'un Pronom né d’un
Adverbe de lieu. La chose est pour le moins trop douteuse, et il faut, il me
semble, avoir la sagesse de ne se tenir qu’a ce qui peut être prouvé jusqu’à
l’evidence, en tâchant d’expliquer l’origine des mots et des formes
grammaticales et de découvrir les fils souvent presqu’ imperceptibles qui les
lient ensemble. Rien ne nuit tant à l’étude analytique des langues que d’être
trop systématique et de vouloir tout expliquer. Le fait que les Pronoms dans
quelques langues tirent leur origine des Adverbes de lieu est
clairement prouvé par l’Arménien et quelques langues des îles de la Mer du Sud,
il ne faut point vouloir trouver partout le même phénomène.
J’ai reçu au moment de mon départ de Berlin
ce que Vous venez de publier, Monsieur, sur le BouddhismeVgl. dazu den Bericht der Société
Asiatique über die Sitzung vom 2. Mai 1831 im Nouveau Journal Asiatique 7, 1831, S. 495f.: "M. Abel-Rémusat, qui
s’occupe avec une nouvelle activité de ses traveaux sur le Bouddhisme,
annonce la publication très-prochaine d’un mémoire fort étendu et divisé en
trois parties, lequel a pour objet principal de fixer le point où sont
parvenues les recherches des Européens, entreprises avec l’aide des
différentes classes de monumens relatifs à cette religion celèbre […]."
Diese umfangreiche Arbeit, die sich mit den Schriften von Brian
Broughton Hodgson und Isaak Jacob
Schmidt zum Buddhismus auseinandersetzte, blieb offensichtlich aufgrund des
frühen Todes von Abel-Rémusat unveröffentlicht. [FZ], et n’ai pû
que le parcourir fugitivement. J’en ferai une étude approfondie à mon retour.
Cette matière m’intéresse doublement àprésent ou je m’occupe beaucoup de l’île
de Java et de ses anciens rapports avec l’Inde. Mr.
Schlegel avoit déjà avec sa sagacité accoutumée découvert
quelques expressions Bouddhiques dans les restes de la langue Kawi, j’en ai
trouvé d’autres dans le poëme Kawi dont Raffles donne le texte. Je prépare un memoire
sur cette langue qu’on a très faussement rangée dans une même classe
avec le Sanskrit et le Pali. Le Javanois n’étant connû jusqu’ici en Europe que
par les matériaux très-insuffisans recuillis par Raffles, il étoit difficile de se rendre compte
de la nature de la langue Kavi. Je n’y ai réussi jusqu’ici qu’à l’aide du
Malais. Mais je viens de recevoir àprésent d’excellens matériaux sur le Javanois
qui me mettront, j’espère, en état d’approfondir entièrement la question.
L’espoir que Votre lettre me donne d’avoir peut-être le bonheur de Vous voir à
Berlin me causeroit une satisfaction
extrême, si Vous ne l’aviez lié, Monsieur, à des réflexions bien décourageantes.
Heureusement que les circonstances ont avantageusement changé depuis. Mais un
voyage et un séjour de quelques mois à Berlin auroit toujours peut-être quelqu’attrait pour Vous et
rendroit infiniment heureux tous ceux auxquels Vos ouvrages ont inspiré une si
vive et si profonde admiration. Je n’ai pas besoin de Vous dire, combien j’en
jouirois en mon particulier.
Veuillez donc ne pas abandonner entièrement ce projet, Monsieur, et agréer
en attendant l’assurance renouvellée de ma profonde éstime et de mon attachement
inviolable.
Humboldt.
à Norderney, ce 7. Aout,
1831.