Monsieur,
Je ne saurois Vous exprimer, Monsieur, combien j’ai été sensible à la bonté avec
laquelle Vous avez répondû d’une manière aussi détaillée à mes questions sur
quelques passages de nos Manuscrits Egyptiens. [Votre lettre](334) du 12. Février de l’année
dernière m’est arrivée, il y a quelques mois, & a été une
véritable source d’instruction pour moi. Je l’ai étudiée soigneusement & je
la consulte encore souvent. On ne sauroit assez apprécier cette complaisance
avec laquelle Vous communiquez, Monsieur, sans réserve Vos découvertes
importantes à ceux qui s’y intéressent. Elle caractérise le vrai savant &
l’homme sincèrement zêlé pour l’avancement des connoissances utiles, &
j’espère que Vous voudrez bien me permettre de saisir la première occasion qui
se présentera, pour témoigner publiquement la haute éstime que Vous m’avez
inspirée aussi par cette qualité qui Vous distingue si éminemment.
Je regrette vivement de ne pas pouvoir Vous envoyer aujourd’hui, Monsieur, copies
des passages de nos manuscrits funéraires que Vous desiriez avoirSiehe den Anhang unten.. J’ai eû la
maladdresse de ne pas pouvoir les trouver jusqu’à présent, quoiqu’il me paroit
pourtant qu’aussi nos manuscrits doivent renfermer ces invocations de divinités
dont les noms Vous ont frappés par leur singularité. Je continuerai mes
recherches, & j’y serois peut-être plus heureux si Vous vouliez bien
m’indiquer les colonnes dans lesquelles ces noms sont
mentionnés dans le Papyrus de la déscription
de l’Egypte. Quant à l’analogie de ces noms avec des mots Sanscrits,
j’avoue qu’elle ne m’a pas frappé.
Je prends la liberté de Vous addresser encore aujourd’hui, Monsieur, quelques
questions sur des monumens Egyptiens que nous possédons ici. Vous m’obligeriez
très-particulièrement, si Vous vouliez y répondre aussitôt que Vos occupations
Vous le permettent. Ce n’est qu’après avoir reçu Vos éclaircissemens que je
ferois imprimer mon petit mémoire. Je me ferois un devoir & un plaisir d’y
déclarer que les explications sur lesquelles je suis resté douteux, me viennent
de Votre part, Monsieur.
Cela ne seroit peut-être pas inutile dans le moment présent. M.r Seyffarth publie
à présent son nouveau système & l’on verroit que ceux qui, comme moi,
s’occupent de cette étude sans avoir la prétention d’y briller par des
découvertes & et de nouvelles vues, ainsi sans ambition & partialité,
continuent à savoir Votre système & le regardent
comme le seul véritablement fondé sur des preuves de fait. L’ouvrage de M.r Seyffarth n’est pas encore mis en vente & je suis
fâché de ne pas pouvoir Vous en envoyer un exemplaire dans ce moment. Mais j’ai
eû occasion de le voir & de le lire attentivement. Je ne voudrois pas
anticiper sur le jugement que Vous en porterez, Monsieur. Je me borne à Vous
dire que je reste absolument fidèle à Vos principes & que, jusqu’ici au
moins, je n’ai pas pû me convaincre de la vérité du nouveau système établi par
M.r
Seyffarth. Voilà ce que je lui ai écrit moi-même. M.r Seyffarth donne
entr’ autres la traduction d’un passage du manuscrit funéraire de
la déscription de l’Egypte. Ce passage renferme le nom
du défunt, mais la traduction dit toute autre chose que cela & il n’y a pas
le moindre petit soupçon du nom d’un mortel dans
la
l’
explication de M.r Seyffarth. Le tems décidera entre
son système & le Vôtre, Monsieur. Mais il me semble que M.r Seyffarth
auroit, en établissant un nouveau systeme, dû attaquer et combattre celui qui
existoit avant lui. Mais c’est ce qu’il ne fait pas, il parle au contraire avec
beaucoup d’éloges des Vos explications de plusieurs noms propres. M.r Seyffarth est un
homme d’un caractère fort éstimable & d’un mérite littéraire établi par
d’autres ouvrages. Je suis bien loin aussi de m’arroger un jugement décisif sur
celui qu’il a publié àprésent. Je vous parle simplement, Monsieur, d’après mes
convictions,
convictions
d’après l’impression que la lecture qu’une première lecture
m’en a laissée. M.r
Seyffarth entreprend un grand voyage dans ce moment. Il va
visiter Turin, Rome & je crois aussi Paris. Je suis sûr que Vous aurez plaisir à Vous entretenir
avec lui, s’il avoit celui de Vous rencontrer quelque part. La diversité de
systêmes ne sauroit désunir deux personnes animées du même zèle pour les
sciences & occupés de la même étude.
J’ai l’honneur d’être avec la considération la plus
distinguée,
Monsieur,
Vôtre
très-humble &
très-obéissant
Serviteur
Humboldt
á
Berlin, ce 8. Mars, 1826.
Repondu de Livourne le 12 juin
Le Musée Royal possède trois statues de déesses
léontocéphales assises dont deux ont été apportées de l’Egypte par Mr. le Comte de Sack et une par Mr. le Général de Minutoli. Je désigne dans le
dessin ci joint les inscriptions des deux premières par A. et B. celle de la
troisième par C. J’ai fait copier les trois colonnes d’hieroglyphes qui
accompagnent le prénom, et la phrase qui précede le nom de deux des statues,
ainsi que le nom lui-même de la statue de Mr. de
Minutoli. Dans les deux autres il est presqu’ effacé, quoiqu’
encore reconnoissable. Les signes qui suivent les cartouches du prénom et du nom
sont dans les trois statues absolument les mêmes dans les deux colonnes.
C’est sur ces statues et leurs inscriptions hieroglyphiques que je prends la
liberté de Vous addresser, Monsieur, les questions suivantes.
1.
Si j’ai bien saisi, Monsieur, Vos idées sur la déesse Neith, on la trouve
sous trois qualifications différentes.
1., comme déesse du premier ordre, compagne d’Amon, caractérisée par le vautour
sur la tête et même par la tête de belier.
J’ignore, si elle porte jamais dans cette qualité une tête de lion et j’en doute.
Je la trouve à la vérité avec une tête de lion dans Votre
Pantheon (Cahier 2. pl. 1. 6.bis) mais c’est dans une figure
composée de membres de divers animaux.
2., également comme déesse du prémier ordre, considérée comme veillant à la
conservation des êtres, semblable à la Minerve de la Mythologie grecque,
caractérisée par une tête de lion.
3., comme déesse du second ordre, ayant également la tête de lion,
compagne de l’Hercule Egyptien, aussi appellée Tafne.
Je suis douteux, si je dois donner aux statues dont Vous parlez p. 44 de Votre lettre à Mr. le Duc
de Blacas, Monsieur, le nom de Neith, ainsi que Vous semblez le
faire dans ce passage, ou bien celui de Tafne, ainsi que Vous le faites p. 211 de Votre Précis, et que le fait Mr. Gazzera, sans doute d’après les données que
Vous lui avez fournies.
La différence est au reste peu sensible, et il se peut facilement que la
Mythologie Egyptienne elle-même confondoit ces deux qualifications.
Mais ce qui est plus important, c’est que je ne trouve absolument pas de traces
dans aucun ouvrage que j’ai consulté, du nom de la déesse Tafné. Vous ne citez
pas, Monsieur, le monument duquel Vous l’avez pris, et Vous m’obligeriez
infiniment, si Vous voulez bien m’indiquer, d’où Vous l’avez puisé? Dans les
numeros de Votre Pantheon qui existent ici, Vous ne
parlez pas encore de cette déesse.
Croyez Vous que la petite figure accroupie que Vous trouverez dans les dessins
ci-joints (A. B.) au dessous des cartouches du prénom, soit le signe symbolique
de la déesse Tafne? La tête en paroit en effèt allongée comme une tête d’animal,
mais la pierre n’est pas assez bien conservée pour que j’aye pû distinguer
clairement si le sculpteur a voulû représenter une tête humaine ou une tête de
lion?
2.
Auriez-Vous jamais trouvé, Monsieur, le
nom de la Déesse Neith écrit phonétiquement? Je n’en connois pas d’exemples dans
Vos ouvrages.
Le nom que Mr. Salt (Essay on Dr. Youngs cet. p. 36. Pl. 3. B.) lit ainsi, me
semble être indubitablement celui de la Déesse Netpe, quoi-qu’il seroit
intéressant de savoir, si Mr. Salt a jamais
rencontré ce nom sur des monumens sans l’hieroglyphe du ciel, puisqu’il dit
seulement “these hieroglyphics being generally
followed cet.”
J’ignore ce que je dois penser du nom ανεφθε donné par Mr.
Salt
p. 47? Auroit-il pris un k
pour un p
et
seroit-ce le nom de la déesse Anok suivi de l’article féminin et du signe
figuratif déesse?
Mais ce qui m’a beaucoup frappé, c’est que Mr.
Bankes veut avoir trouvé dans une inscription grecque le nom
d’Αθηνα comme synonyme de Netphe.
3.
Mr. Gazzera (Descrizione dei Monumenti Egizj. p. 21.) soutient qu’Amenof et
Amenoftep sont toujours des noms différens. Cette assertion ne seroit-elle pas
trop positive?
Vous dites le contraire, Monsieur, dans Votre Précis (p. 238.) quoi-que Vous distinguiez
aussi dans Votre Lettre à Mr. le Duc de Blacas (p. 23.
38–41.) le nom du chef de la dynastie, Amenoftep, du nom de ces deux
successeurs, Amenof, que Vous qualifiez de 1mier et
2me et non pas de 2me et de 3me.
Mais ce qui me semble prouver entièrement l’identité des deux noms, c’est que
Mr. Salt donne (Pl. 4. nr.
11.) dans deux cartouches accouplés le prénom royal d’Amenophis 2.
accompagné clairement du nom d’Amenoftep. Ici donc Amenophis 2. porte également
le nom du chef de sa famille.
Que faut il penser de deux cartouches d’un temple d’Elephantine
(Descr. de l’Egypte. Vol. 1. pl. 36. nr. 3.) où à
côté du prénom d’Amenophis 2. on voit un nom que je lirois ⲈⲚⲦⲞⲚⲦⲤ? Est-ce simplement une inscription mal
copiée malgré l’assurance du contraire donnée dans le texte?
J’ai aussi été étonné de voir (Lettre à Mr. le Duc de Blacas.
p. 86) que le même prénom puisse être commun à deux rois.
La gravure que Mr. Salt donne de la table
d’Abydos ne me semble pas entièrement convenir avec le dessin de Mr. Cailliaud tel que Vous le décrivez,
Monsieur, dans Votre Précis (p.
245.). Car je ne trouve que 17 prénoms royaux (au lieu de 21) dans
la seconde série chez Mr. Salt. Je seroit bien
à désirer que le dessin de Mr. Cailliaud
fût aussi publié.
4.
Mr. Gazzera traduit le titre qui suit
le nom d’Amenof, et dont Vous dites dans Votre Précis (p. 235.) que le sens en est encore
ignoré, Presidente della regione superiore.
Je trouve dans Votre Pantheon, Monsieur, (Cahier 6. pl. 15.) que le lituus est en effèt le symbole de la
surveillance, et de l’administration. Mais je cherche envain l’explication du
dernier signe. J’ignore même ce qu’il doit représenter figurativement. Car
quoiqu’il ressemble aux bâtons ornées du coucoupha, il en paroît néanmoins
différent.
La lettre k
se trouvant entre ces deux signes, je ne crois pas devoir la
prendre ici pour la marque de la 2. personne du singulier, mais plutôt pour
l’abbréviation du mot ⲕⲁϩⲓ. Il n’est pour lors
pas étonnant que cette lettre manque quelquefois après le nom d’Amenof 2.
com-me p. e. dans une des inscription du grand temple
d’Onabos. (Déscription de l’Egypte. T. 1. pl. 43. nr. 12.
13.)
5.
Comment expliquez Vous, Monsieur, phonétiquement et en paroles Coptes les
trois signes qui dans toutes les inscriptions des statues léontocephales que je
connoisse, suivent immédiatement le prénom royal? Vous les traduisez de la déesse gardienne, mais le mot de déesse est
indiqué, je crois, par le signe figuratif. Mr.
Gazzera (p. 18 Pl. 3. nr. 2.) traduit
tout court da Tafnet. Vous observerez, Monsieur, que le premier signe de ce
grouppe dans les statues de Berlin diffère
du même dans les statues de Turin. Dans ces
dernières il ressemble presqu’à l’ornement que la déesse Netphe porte sur la
tête (Précis du syst. hier. Pl. 4 nr. 83.) dans les
nôtres on pourroit le prendre pour une rame.
Dans le nr. 3. de la Pl. 3. de Mr. Gazzera se trouve un grouppe de quatre signes qu’il traduit
posseditrice della regione superiore. Je reconnois la région supérieure dans la
partie intérieure du Pschent, l’s qui suit, peut être
le Pronom féminin ou un déterminatif sa, portion,
contrée, mais que signifient phonétiquement les deux signes qui précèdent
ⲥⲁ ou ⲁⲥ?
Vous verrez, Monsieur, que dans le dessin ci-joint (B.) le participe ⲙⲉⲓ est
suivi de l’article féminin, du signe de seigneur et
d’un hieroglyphe qui me laisse dans le doute, s’il doit être le bâton désignant
ⲧⲟ, monde, ou deux sceptres affrontés, ⲥ. Dans
ce dernier cas il me rappelleroit le groupe de Votre Pantheon
(Cahier 7. pl. 15. 6.) quoique le déterminatif: contrée manque ici. Peut-être l’s est-il le
pronom auquel se réfère ⲙⲉⲓ. Mais ce pronom en
écriture hieroglyphique se trouve ordinairement après le
participe.
D’après ce que Vous avez eû la bonté de me dire dans Votre lettre, Monsieur, je
lis les signes (Dessin ci-joint. c.)
avec l’article féminin ⲛⲟϥⲣⲓⲑ, la bienfaisante. Il est cependant à
remarquer que le signe du ϥ, le céraste,
manque ici.
Mais comment expliquez Vous, Monsieur, les deux fléaux posés sur un globe ou sur
le disque du soleil? Le même signe se trouve sur un fragment d’Edfou (Déscription de l’Egypte T. 1. pl. 57. nr. 8.) au dessous
d’un cheval et à côté de la lettre s, et dans les
Manuscrits funéraires. Ne seroit-il pas le même que celui que Vous donnez comme
s au nr. 102 de Votre
Alphabet? (l. c. Vol. 2. pl. 75. col. 23.)
Dans notre monument il est suivi des signes du pluriel.
Mr. Gazzera traduit les deux derniers signes
du nr. C. du dessin ci-joint vivificatore. Je suppose que le premier que Vous
expliquez (Précis du syst. hier. Pl. 3. nr. 3) par t.
est ici la lettre Copte ϯ, donner, celui qui
donne. L’autre est le symbole de la vie divine. Ces deux signes s’écriroient
donc en Copte ϯⲱⲛⲑ et pour en faire un
Substantif, le Copte moderne y ajouteroit le Préfixe ⲣⲉϥ. Mais quel est, Monsieur, le mot Copte que Vous avez en vue
lorsque Vous traduisez
par supplions?
J’oserois Vous addresser la même question, Monsieur, sur la groupe
que Vous
rendez par les mots: pour toujours. Phonétiquement j’y
vois les lettres ⲧⲧⲛ.
Le groupe qui manque à nos inscriptions, mais qui est dans celui de Turin (Gazzera. Pl. 3. nr.
2.)
signifie: comme Re. Mais quel
signe proprement est celui que Vous traduisez par ⲛⲧⲉ dans Votre Précis
(p. 159. 160)?
6.
La colonne d’hieroglyphes qui accompagne le nom d’Amenophis
présente dans une des Statues de Berlin
après les mots fils du soleil quatre signes dont je prends le deuxième pour
celui que Vous donnez, Monsieur,
nr. 445 de Votre
Précis
. Je lis en conséquence ⲛⲁⲁϥ ⲧⲏⲓϥ, fils du soleil, du grand qui le donne.
7.
Je vois par la dissertation de Mr. Gazzera que Vous expliquez, Monsieur,
l’ornement qui se trouve aux côtés des thrônes des figures leontocephales
(Gazzera p. 19. Pl. 4. nr. 4.) par les mots:
soutien de la haute et de la basse Egypte, et j’ai lû avec le plus grand intérêt
ce que Vous dites du symbole de ces deux contrées dans Votre
Pantheon. (Cahier 7. pl. 7. A. B.) Mais je prends la liberté de Vous
addresser, Monsieur, deux questions à cet égard.
1. L’instrument autour duquel les noeuds de Lotos sont formés, n’est-il pas la
même théorbe, emblême de la bienfaisance? Sa forme diffère un peu à la vérité,
mais cette même variante se retrouve dans d’autres monumens où ce signe est
indubitablement celui que je viens d’indiquer. (Déscript. de
l’Egypte. T. 1. pl. 36. nr. 3. T. 2. pl. 21. nr. 2.)
2. De quelle manière distinguez-Vous, Monsieur, dans notre ornement la Haute
Egypte de la basse? Dans les quatre figures de plantes de l’inscription de
Rosette les deux qui désignent la Basse-Egypte, ont les tiges brisées et
pendantes. Ici cette distinction ne se trouve pas, et toutes les fois que cet
ornement est accompagné de deux figures humaines ces dernières portent sur leurs
têtes chacune les mêmes plantes de Lotos ayant constamment les deux tiges
extérieures brisées. (Déscript. de l’Egypte. T.
1. pl. 10. nr. 5. T. 2. pl. 21. nr. 2. pl. 28.) La Basse-Egypte
paroitroit donc seule indiquée dans cet emblême.